La solitude du Dirigeant, mythe ou réalité ?

5 mai 2023

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En quoi un dirigeant à la tête d’une entreprise, sollicité par tous, peut-il se sentir seul ?

La solitude, nous dit Le Robert est la «  situation d’une personne qui est seule  », «  qui se trouve sans compagnie  » ou « qui a peu de relations avec d’autres personnes ».

En quoi un dirigeant à la tête d’une entreprise, sollicité par tous, peut-il se sentir seul ?

Parce qu’il y a solitude et solitude…

On peut distinguer deux formes de solitude : la solitude émotionnelle et la solitude sociale (Weiss, 1973).

La solitude émotionnelle qui se définit comme l’absence de la plupart des formes de relation intime de proximité (relations familiales, amitiés, relation amoureuse).

La solitude sociale, elle, se caractérise par l’absence de liens significatifs avec les « pairs » (amis, connaissances, …).

Nous pouvons avoir de nombreuses interactions sociales et, pour autant, nous sentir seul.e. Car ce n’est pas la quantité, mais la qualité des interactions sociales qui importe.

 

45% des dirigeants de PME se sentent isolés (Etude Bpifrance Le Lab)

La solitude peut être choisie et vécue très positivement comme un moment de ressourcement, de méditation, d’intériorisation, de réflexion …

L’isolement, lui, est une solitude contrainte et subie. Elle prive d’échange, de partage et d’interdépendance.

La solitude du dirigeant est une situation de fait. La configuration de ce poste est unique dans l’entreprise. Par définition, personne d’autre au sein de l’entreprise ne dispose d’autant de  responsabilités, qu’ils doivent assumer de manière autonome (au sens étymologique « faire sa règle lui-même »).  Si cela n’empêche en aucun cas l’échange, le partage et la consultation, il restera, au final, seul face à la décision.

En revanche, le dirigeant isolé constate qu’il n’est pas assez aidé, soutenu, entouré… Il se sent vulnérable, il a l’impression de porter seul trop de choses, de ne pas être suivi par ses équipes, de ne pas être compris des administrations… Coupé d’échange et de liens constructifs et utiles à son projet, il reste enfermé dans sa tête, dans son corps et dans ses pensées.

 

Différentes facettes du sentiment d’isolement du dirigeant

Il n’y a pas « une » solitude, mais « des » solitudes du dirigeant.

Il serait vain de vouloir ramener le sentiment d’isolement du dirigeant à une cause unique. La solitude du dirigeant est un phénomène à multiples facettes.

 

Cinq grands facteurs déclencheurs du sentiment d’isolement ont été mis en avant dans l’étude de Bpifrance Le Lab :

– L’imprévisibilité de l’environnement (concurrence, économie, réglementation).

– Le poids des responsabilités, l’isolement dans la décision, et dans la réflexion qui la précède.

– Le manque de reconnaissance sociale et les préjugés à l’égard des dirigeants.

– La difficulté à (bien) s’entourer.

– Le manque de soutien et de relais dans l’entreprise et la difficulté à faire naître un collectif.

 

Dans cette même étude, 7 formes de solitude du dirigeant ont été identifiées.

La solitude dans la décision : même s’il s’entoure de conseils ou de consultations de ses équipes, le dirigeant de PME restera seul au moment de trancher, et seul à assumer les responsabilités en cas d’échec.

Pour le dirigeant propriétaire, la solitude dans la décision est d’autant plus présente qu’elle engage l’avenir de l’entreprise et au-delà, son patrimoine et le bien-être de sa famille.

Le risque face à cette solitude est de ne pas parvenir à décider ou de différer la prise de décision.

La solitude statutaire : Incarnation symbolique du pouvoir dans l’entreprise et point de mire de toutes les parties prenantes (salariés, fournisseurs, clients voire associés et actionnaires, …), le dirigeant adopte un registre de comportements qui lui est plus ou moins imposé socialement (maîtriser ses émotions, contrôler ses faits et gestes, masquer ses doutes, …). Le risque est de cesser d’être qui on est pour être celui que l’on représente.

La solitude relationnelle  vient du constat fait par le dirigeant qu’il ne dispose pas, dans son environnement, des « bonnes » relations pour faire progresser son projet.

Elle renvoie à deux grandes problématiques  : bien s’entourer et mobiliser, qui se déclinent elles-mêmes en diverses situations : difficultés à recruter, manque de relais à l’intérieur de l’entreprise, absence d’un alter ego, moyens insuffisants pour recourir à des prestations de conseils, difficultés à impliquer et mobiliser les collaborateurs, déception vis-à-vis du comportement d’un collaborateur clé, …

La solitude professionnelle : Le dirigeant seul professionnellement ne peut pas être expert en technique, en commerce, en système d’information, en management, en marketing, en communication et plus… Mais dans les faits, il doit en permanence être sur tous ces thèmes.

La solitude situationnelle  : face à une difficulté (défection d’un client, redressement fiscal, trahison d’un collaborateur, PSE, …), le dirigeant est seul à affronter la tempête.

La solitude existentielle  : Il arrive que des dirigeants, sous l’effet de la fatigue, de l’ennui, de l’usure, de la déception… en viennent à se demander si tous les efforts, tous les sacrifices qu’ils ont faits, ne sont pas vains. C’est aussi le sentiment d’être prisonnier de son entreprise, d’une existence moins belle et excitante que prévue.

– La solitude collective avec un sentiment de ne pas être reconnu socialement, d’être absent de la scène publique (au contraire des patrons du CAC40) ou bien de manière caricaturale, de ne pas être compris et entendus par les administrations qui produisent des règles coûteuses et chronophages, d’être l’objet de défiance de la part des salariés et leurs représentants…

 

Si la solitude du dirigeant est un prix à payer, une contrepartie inévitable du pouvoir que la fonction octroie, le sentiment d’isolement, lui, ne l’est pas !
 Et c’est non seulement un problème pour le dirigeant lui-même ; c’est aussi une fragilité pour l’entreprise qui n’évolue plus sereinement, avec des décisions tardives, reportées ou non optimisées…

 

Bonne nouvelle  : l’isolement du dirigeant n’est pas une fatalité ! Des remèdes existent…

Encore faut-il, pour bien les choisir et pour qu’ils fonctionnent, avoir diagnostiqué le ou les types de solitude auquel le dirigeant fait face et … avoir envie de guérir …

 

Comment sortir de l’isolement ?

En avoir la volonté avant tout  :  sortir de l’isolement suppose d’aller vers les autres, d’écouter, de travailler sur soi, de changer de posture…

Pour certains, il s’agira aussi de sortir de la représentation héroïque de la solitude du dirigeant, seul à affronter les éléments … qui leur font voir l’isolement comme une fatalité.

Sortir aussi de la représentation du chef invincible, infaillible qui ne peut exprimer ses doutes, ses questions, ses défaillances …

Prendre de la distance en sortant de son entreprise, en partageant d’autres angles de vue, sur son marché, sur son entreprise et sur lui-même en tant que dirigeant

Cette prise de recul est impossible seul, et difficile avec des collaborateurs qui manqueront de neutralité voire de sincérité.

Intégrer des réseaux professionnels, participer à des formations, recourir à des conseils externes ou à un coach professionnel, … est aidant.

Accepter de partager le pouvoir en partageant les décisions, voire le capital.

Cela nécessite à la fois d’identifier les collaborateurs clés pour composer une équipe de direction, et pour le dirigeant, d’accepter de déléguer et de renoncer à une emprise totale sur l’entreprise.

Apprendre à déléguer : la solitude peut venir d’un problème de management.

Le dirigeant doit changer de regard sur son personnel, l’impliquer davantage et lui faire confiance. Il évitera ainsi l’écueil d’une trop grande centralisation qui ralentit la prise de décision et submerge le dirigeant.

Créer un collectif responsable  constitué de personnes de confiance, internes ou externes à l’entreprise, en charge d’aider le dirigeant dans sa prise de décision.

Cela nécessite pour le dirigeant d’accepter d’écouter, de s’effacer et de laisser de la place pour que chaque personne s’investisse dans le projet.

 

A chaque solitude son remède,

et à chaque dirigeant, son remède à la solitude …

 

Si ce sujet vous parle, je vous invite à lire une page dédiée aux dirigeants ICI